Voici notre conte de noël écrit par Patrick le Barbu de ville: « D’un interstate à l’autre »

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Voici notre conte de noël écrit par Patrick le Barbu de ville! 

D’un interstate à l’autre

Pierre est camionneur depuis trop longtemps. Il mange de l’asphalte depuis que les Expos de Montréal sont partis vers Washington, c’est comme ça qu’il se rappelle et qu’il n’oublie pas le temps qui passe.

Au volant de son Peterbilt, il roule à perte de vue souvent jusqu’à perte d’identité, souvent jusqu’au limite de son «Log Book»!

Il roule sur l’interstate 20, noël approche à grands pas, il ne reste que 3 jours. Il sera enfin chez lui pour le 24 au soir célébré avec sa gang.

Il écoute les succès des années 80 à la radio, la chanson thème de Breakfast club y joue à tue-tête pendant que Pierre fait exploser ses poumons à chanter le refrain ; «Don’t you forget about me…»

Pierre est camionneur, mais avant tout mélomane dans l’âme et le cœur. Il aime sa solitude profondément, mais il s’ennuie toujours des siens, il est un paradoxe sur deux pattes toujours avec ses caps d’acier et son t-shirt à poche! Il combat le spleen en chantant le long de la route. Il a toujours une toune dans la tête de Green Day en passant par Pearl Jam, du Elvis parfois les Beatles, mais il revient toujours aux années 80!

Il revient d’un autre voyage à Dallas. Il connaît le Texas par cœur, il pourrait sincèrement se promener les deux yeux fermés. L’état du BBQ est comme sa 2e demeure! Et combien de fois il a été au Ranch de «JR» le fameux personnage de la série Dallas? Il a arrêté de compter le nombre de fois qu’il y a été depuis bien longtemps.

Arrêté au fameux «Franklin Barbecue» dans la ville d’Austin est pour lui comme un pèlerinage obligé. C’est en quelque sorte son Compostelle. La bouche remplie de sauce BBQ, les mains qui débordent de «brisket» et le bonheur solitaire d’un homme heureux comme Ulysse.

Il roule maintenant dans la nuit et il commence à neiger à petits flocons sur son «windshield», il est à la hauteur d’Indianapolis sur la 69, une route nord-sud comme on dit. Il laisse tomber la neige et imagine déjà son arrivée chez eux à Laval. Il a plein de cadeaux avec lui. Il peut de la «highway» sentir les tourtières que sa femme a préparées avec amour. L’odeur du ketchup vert, des patates qui bouillonnent, de la cannelle, du vrai sapin dans le salon et le foyer qui mange d’autres bûches.

Il passe finalement l’Ambassador bridge, mais le bordel est pogné solide sur la 401 d’un bord comme de l’autre. On n’y voit plus ni ciel ni terre ni 401. Les «Onroute» sont emmitouflés dans les rafales de neige.

Même si la 401 est une route en ligne droite, elle devient maintenant compliquée et difficile. Certains tronçons sont fermés à la circulation. Le chaos roule avec Pierre et maintenant l’incertitude est assise à côté de lui. Si proche de la maison, mais si loin en même temps. Il ne veut pas célébrer Noël avec des inconnus dans un «truck stop» à London. Il n’y a rien de féérique au «Flying J». Il n’y a que l’ennui qui se promène de long en large.

 Sur les ondes de la radio satellite, on annonce une tempête record comme celle de 1971. Elle qu’on a appelée la tempête du siècle. Pierre a parlé avec sa gang via Facetime être si proche, mais si loin en même temps! Les enfants pleurent sur l’écran devant lui. Un autre Noël sans leur père. Son ex-femme tente temps bien que mal de le réconforter. Il raccroche la mort dans l’âme, un spleen d’une profondeur océanique suit sa trace jusqu’au «drive-in»!

Un café à l’eau et un journal avec de vieilles nouvelles de la veille, une nappe à carreaux et une vieille serveuse déjà morte par en dedans depuis trop longtemps. Sa solitude prend tout son sens ce soir. À l’autre bout des banquets rouge vif, il y a une femme au regard perdu dans le tourbillon de son café. Elle semble avoir le même spleen que Pierre. Il prend une 2e tasse de café à l’eau, elle aussi mauvaise que la première, mais servie avec amour par la vieille serveuse.

La neige tombe et on dirait que London est maintenant dans une boule de Noël que des enfants brassent pour s’amuser. Sans savoir pourquoi, on dirait que la magie des fêtes fait son chemin même jusqu’ici. Le ciel est rempli de flocons. Un homme au comptoir sort une musique à bouche de sa poche et siffle un air blues’s de circonstance même que la femme qui jouent sur la «slot machine» depuis le début de la tempête a arrêtée pour écouter le bonhomme jouer!

La fille au fond de la dernière banquette frappe des mains et se lève pour danser. Les autres clients emboîtent le pas même que la vieille serveuse semble ressusciter. Soudainement les murs gris du «drive-in» semblent d’un gris plus doux. Après la prestation du joueur de musique à bouche, Pierre pousse une chanson à répondre en français et en anglais. Ça chante avec entrain, le bonheur vient faire son tour, il a même enlevé son manteau, j’ai comme l’impression qu’il va se barrer les pieds «icitte».

La fille au bout des banquettes est rendue assise en face de Pierre qui n’a pu le spleen étrangement. Elle non plus d’ailleurs. Au fil de la conversation, ils découvrent qu’il conduit les deux un Peterbilt, que les deux font de la Californie, la magie de noël a fait son chemin même ici dans un décor plutôt triste.

Ce soir-là, le «Flying J travel» de London en Ontario s’est déguisé en bonheur. Les camionneurs, camionneuses et serveuses sur place ont décidé d’embarquer dans le costume.

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